(*) Texte tiré d'une conférence sur l'informatique musicale,
donnée au salon IMAGICA (LYON),le 24 Octobre 1989
Lecteurs de compact disque, boites d'effets numériques, studio numérique, ... Depuis quelques années, de nombreux appareils numériques apparaissent sur le marché. Nous allons donc essayer de définir ce qu'est le son numérique, préciser quels sont ses avantages, ses applications, tant dans le domaine grand public que dans le domaine professionnel. Cette vue d'ensemble nous permettra de dévoiler un peu ce que pourra être l'avenir du son, grâce au numérique.
Une onde sonore peut être définie comme une série de mouvements vibratoires ordonnés. Un microphone permet de convertir ces ondes acoustiques en ondes électriques ; puis le stockage de ces informations sonores se fait sous forme magnétique (magnétophone) ou sous forme de gravure mécanique (disque). Le son peut donc exister sur différents supports (air, métal, plastique,...), mais tous les signaux manipulés gardent des formes identiques, se ressemblent : on parle donc d'analogie et par extension de son analogique.
Dans le cas du son numérique, on réalise dès l'origine du son une conversion analogique -> numérique (grâce à des circuits électroniques spécialisés). La norme HIFI travaille à 44,1 kHz, c'est à dire que 44100 fois par seconde, on prend note de l'amplitude instantanée du signal sonore. On se retrouve donc avec une liste de nombres (44100 nombres chaque seconde en mono, 88200 en stéréo) qui sont en général manipulés en binaire : 0010100 ... Il n'y a plus analogie avec le son de départ, plus de ressemblance, car un son numérique est une liste de nombres.
La chaîne du son comporte de nombreuses étapes et transformations, qui sont autant de risques de dégradations pour le signal sonore.
en analogique : les amplitudes des signaux sont faibles (environ 1 Volt) ; le moindre changement - même d'un millième de volt (0,1%) - provoque une déformation, une distorsion du signal analogique. Chaque copie, chaque appareil provoque de légères dégradations du signal ; d'où l'apparition de bruit de fond, perte de dynamique, distorsion, usure, craquement, ..., bref tous les fléaux caractéristiques du son analogique.
en numérique : le son est une liste de 0 (zéro) et de 1 (un). 0 peut être codé par 0 volts et 1 par 5 volts, ou bien la présence ou l'absence d'un signal lumineux. Il s'agit donc de niveaux élevés et très distincts : il est impossible de confondre un 0 et un 1, et ce même s'il y a 1 volt de perturbation (20% d'erreur) ! De plus, copier un son numérique équivaut à copier une liste de nombres et cela, les machines le font sans erreur. Donc, le numérique permet de s'affranchir des problèmes de déformation, de pertes, d'usure, de sensibilité aux parasites, ...
L'usage de l'informatique permet aussi de mettre en oeuvre des systèmes de corrections d'erreurs très sophistiqués, au cas où ... Ces systèmes permettent d'estimer ce qu'aurait du être le signal en l'absence d'erreur (en vérifiant la cohérence du signal à un instant donné avec les 5 ou 10 valeurs précédentes). En cas d'incohérence notoire, il y a substitution du ou des nombres mis en cause par une estimation : il vaut mieux entendre un signal estimé plutôt qu'un grand clic !
en analogique : il faut une machine spécialisée par opération, notamment parce que chaque étape utilise des techniques très différentes (mécanique, magnétisme, électronique, ...) :
- une machine pour la gravure mécanique des disques,
- une machine pour l'enregistrement magnétique,
- une machine pour le mixage,
- une machine pour les filtrages, les effets spéciaux,
- un synthétiseur pour faire du son,
etc.
en numérique : Toutes les manipulations pourraient être faites sur un seul et même ordinateur avec plusieurs logiciels adéquats. Il faut entendre ici ordinateur au sens large du terme : un lecteur de compact disque, c'est un micro-ordinateur spécialisé dans la lecture des CD, un synthétiseur numérique de même. L'ordinateur - ou sa version simplifiée : le micro-processeur - est désormais présent partout (même dans les machines à laver...). Pour l'ordinateur, enregistrer, mixer, transformer le son, c'est toujours manipuler des listes de nombres ou de bits et éventuellement procéder à des calculs sur ces nombres.
Les préamplificateur et amplificateur numériques commencent à faire une timide apparition. Ceux-ci permettent de conserver plus loin dans la chaîne du son le gain de qualité apporté par les enregistrements numériques. Malheureusement, aucune solution numérique n'est encore clairement envisagée pour les 2 maillons les plus faibles : le microphone et le haut-parleur (encore que des recherches soient en cours ...).
Les avantages du numérique pour le grand public sont :
- une amélioration de la qualité sonore,
- une souplesse d'emploi accrue, grâce à l'affichage du temps, des numéros ou même des noms en clair des morceaux,
- le confort de la programmation : il est désormais possible de lire les morceaux d'un CD dans l'ordre inverse, de "sauter" l'écoute d'un morceau, d'écouter 100 fois le même passage, ...
L'un des premiers synthétiseurs numérique (RMI keyboard computer) est apparu sur le marché il y a maintenant une quinzaine d'années. Aujourd'hui, tous les synthétiseurs ou orgues de variété sont désormais à synthèse numérique. On trouve deux grandes méthodes :
- soit des sons réels ont été numérisés et "optimisés" en usine et sont stockés dans des mémoires non-volatiles ou permanentes (EPROM, cartouches ou disquettes) ; lors de l'appui sur une touche du clavier, le son est lu dans la mémoire, tout comme on lit un morceau de bande magnétique.
- soit, un micro-processeur rapide spécialisé lit les réglages de la façade et calcule sur l'instant tous les échantillons nécessaire à la production du son. C'est le cas du célèbre DX7.
Dans les deux cas, on trouve à l'intérieur du synthé : un micro-processeur, de la mémoire (pour les programmes ou les sons), des convertisseurs numérique -> analogique, permettant de rendre audibles les données numériques.
L'échantillonneur est une réalisation informatique encore plus poussée : cet appareil permet d'enregistrer en numérique quelques dizaines de secondes d'un son (voire même de plusieurs sons), d'effectuer quelques transformations (découpe, mise à l'envers, filtrage, enveloppe, ..), puis d'en jouer à l'aide d'un clavier. Pourquoi pas un "Steinway qui tient sous le bras", un solo de casseroles ou une mélodie de gouttes d'eau ...
L'ordinateur musical
Le mouvement a été amorcé par YAMAHA en 1983-84 avec le CX5M. L'ordinateur musical est devenu le couteau suisse du musicien d'aujourd'hui : tous les types de synthèses ou transformations du son peuvent être faits sur un ordinateur (ce n'est qu'une question de logiciel), tous les outils de composition peuvent être mis à la disposition du musicien dans une même boite !
On trouve déjà 5 ou 6 systèmes d'informatique musicale dédiés au son numérique sur ATARI, Mac Intosh, compatible PC et de prix tout à fait abordable. Un exemple concret : le CDP, station de travail complète du son numérique CDP sur ATARI coûte environ 20000 Francs (Composers'Desktop Project, YORK). Ces stations permettent :
- la synthèse du son par logiciel (par formules),
- l'enregistrement numérique de qualité sonore parfaite (44 kHz stéréo),
- de nombreuses transformations du son (découpe, mise à l'envers, mixage, filtrage, ...)
- l'archivage numérique sur disque informatique ou sur R-DAT.
Ces systèmes présentent tout de même certaines limitations :
- le nombre de voies simultanées à l'écoute est 2 (stéréo), alors qu'on pourrait rêver de quadriphonie ou plus ...
- la durée d'enregistrement est limitée par la taille (et le prix) des disques durs : un disque de taille standard (80 Mo) peut contenir 6 à 7 minutes de son (176000 kilo-octets par seconde).
- beaucoup d'opérations sophistiquées sont gourmandes en temps-machine et ne peuvent se faire en temps réel : on peut tout faire, mais il faut parfois attendre 5 minutes ou plus pour écouter le résultat...
Ces stations de travail du son, accessibles aux particuliers, sont en pleine expansion et vont offrir de plus en plus de possibilités et de confort à leurs utilisateurs.
Les professionnels de l'enregistrement possèdent déjà depuis quelques années des grosses stations de travail audio (Audio Work stations en anglais), encore baptisées systèmes d'enregistrement sur disque dur. Il existe 5 ou 6 systèmes de ce type au monde : SYNCLAVIER, FAIRLIGTH, NED, LEXICON, ... Leur prix commence à partir de 100 000 NF (10 Millions de Francs anciens).
La qualité de ces machines est encore bien supérieure à la norme HIFI grand public. Entres autres fonctionnalités, elles possèdent :
- des possibilités de synthèse sonore sophistiquées,
- un échantillonneur numérique de grande capacité,
- un enregistreur sur disque dur, permettant un stockage de durée importante (1 à 2 heures),
- de nombreux effets numériques
- transformations du son,
- découpe, mise à l'envers, mixage, filtrage, bien souvent en temps réel,
- archivage sur disque informatique,
et même directement sur bande numérique ou graveur de CD
Ces machines sont principalement destinées à la réalisation des bandes-son des films ou des matrices numériques des Compact-Disques. Certains musiciens fortunés ou centres de recherche musicale en possèdent.
Réverbération, écho, phasing, filtrage, tout est une question de mathématique, de mémoire et de programmation.
On assiste de plus en plus à une banalisation de l'électronique, puisque la plupart des machines de son numérique se résume à un calculateur très puissant et des convertisseurs d'entrées et de sorties audio-numériques.
Les fonctions sont désormais réalisées par des programmes informatiques, ce qui apporte :
- une excellente qualité sonore,
- une grande souplesse d'utilisation,
- beaucoup de "gadgets" pour le confort de l'utilisateur,
- permet d'améliorer les traitements en changeant uniquement les programmes, sans changer de machine,
- permet une ergonomie folle ou personnalisée,
- donne accès à une puissance de calcul audio considérable.
L'avenir du son numérique s'avère prometteur, mais il reste encore à convaincre les inconditionnels du son en direct...
Bertrand MERLIER. Février 1990.
Compositeur et enseignant notamment en informatique musicale et en acoustique.
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[(**)] Sur la pochette des compact-disques, on peut trouver l'une des inscriptions suivantes : DDD ou ADD ou AAD, etc.
attestant respectivement que la prise de son, les montage et mixage ou la matrice finale ont été réalisés en numérique (D) ou en analogique (A).
Ceci est un gage de qualité à regarder de près ...
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